Le respect de la vie privée by Selma Lønning Aarø

Auteur:Selma Lønning Aarø [Lønning Aarø, Selma]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature norvégienne, Roman
Éditeur: Gallimard
Publié: 2023-04-15T00:00:00+00:00

1. « J’aurai absolument aucun mal à vendre ça. »

11

Le psychiatre m’observe. C’est un homme qui a la soixantaine avec un petit côté homme d’affaires, comme s’il travaillait avec de l’argent et non des êtres humains.

— Donc, vous êtes écrivaine ?

Je fais oui de la tête. Comme toujours, la question provoque une sorte de panique. Il est rare que les gens se contentent de cette réponse. Souvent s’ensuivent plusieurs questions. Des questions telles que :

— Vous avez déjà publié quelque chose ? Vous avez écrit de vrais livres ?

Il est difficile de dire ce que sont de vrais livres. Parfois je réponds oui, d’autres fois je réponds que ça dépend à quel critique vous demandez cela, et puis j’émets un petit rire pathétique dont mes enfants ont honte.

Si je réponds oui, la personne veut souvent savoir quels livres j’ai écrits. Je cite quelques titres. Parfois la personne acquiesce comme si elle connaissait, mais la plupart du temps les gens hochent la tête en disant que malheureusement ils n’ont jamais entendu parler de moi, même s’ils lisent énormément.

Un jour que j’étais chez mon médecin traitant et qu’elle me prenait la tension, elle me fit un peu parler comme le font souvent les médecins pour détendre le patient.

— Et qu’est-ce que vous faites dans la vie ?

— Je suis écrivaine.

La médecin jeta un rapide coup d’œil sur mon dossier, sans doute pour regarder encore une fois mon nom de famille et voir si ça lui disait quelque chose, mais ce n’était visiblement pas le cas.

— Je lis énormément, mais je n’ai jamais entendu parler de vous. Sur quoi écrivez-vous ?

Elle fixa le brassard de tissu noir autour de mon bras avec la fermeture Velcro et commença à le remplir d’air. La panique me submergea. Sur quoi écrivais-je ? Oui, j’écrivais sur quoi au fait ?

La médecin desserra le brassard.

— Oh, c’est un peu élevé, dit-elle.

— Mesurez encore une fois, mais pas un mot sur ce que j’écris s’il vous plaît.

Elle s’exécuta et tout se passa bien. Ma tension était normale.

Je regarde ce psychiatre aux manières d’homme d’affaires qui me demande si je suis écrivaine.

— Oui, c’est ce que je suis, dis-je en soufflant sur ma frange comme une adolescente qui se fait réprimander.

— Sur quoi écrivez-vous donc ? Est-ce quelque chose dont j’aurais pu entendre parler ?

— J’en doute, dis-je, vexée.

— Je comprends que vous avez vécu des moments difficiles, dit le psychiatre en m’étudiant.

Je ne réponds pas tout de suite.

— Il y a difficile et difficile, dis-je, en faisant attention de ne pas tomber dans un piège.

— Votre mari m’a parlé, si je ne me trompe, d’une rupture avec une grande amie, quelqu’un sur qui vous écriviez un roman. Est-ce cela qui a déclenché votre tentative de suicide ?

Tentative de suicide. C’est la première fois que quelqu’un me dit ça. De manière aussi directe. Le visage de X apparaît sur ma rétine. Ses lèvres forment le mot, de manière pour ainsi dire triomphante : Tentative de suicide. Regarde un peu ce

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